Ce matin, je me suis rendue au CHU pour des examens. Faire un bilan à un an de ma paralysie avec un chouette professeur (encore un !). Et oui, il y a exactement une année, je me réveillais entièrement paralysée d'un côté du visage, côté gauche, celui du coeur, alors que j'allais célébrer tous mes succès. Panique, horreur, mais surtout désespérance… s'il y a quelqu'un là-haut, est-ce qu'il peut arrêter de s'acharner sur moi ? Un zona à la tête, une énorme dépression, une séparation et maintenant une paralysie… ça va peut-être aller, là, non ? Mais oui, ça va aller, je le sens, la roue tourne, le vent se lève ! D'ailleurs, le professeur était très content de mon visage. Encore quelques trucs bof, mais ça va dans le bon sens. Déjà, j'ai retrouvé mon sourire, ce qui est tout de même… l'essentiel !
Alors voilà, j'arrive à l'accueil. C'est dingue, je suis toujours heureuse quand je viens ici. En fait, j'ai appris à aimer l'univers hospitalier. À tel point que j'écris cette chronique assise à une table, devant le Centre cardio-pneumologique. Les ambulances passent, les blouses blanches vont et viennent, les étudiants s'assoient à côté de moi, je ne peux m'empêcher de leur parler, les patients déambulent, certains viennent même discuter… les chants des oiseaux se mêlent au bruit du chantier qui fait monter un énorme bâtiment pur béton, synonyme de regroupement. Oui, j'ai appris à aimer cet univers du service public, qui m'a sauvée, qui m'a accueillie et qui m'a offert le plus beau des projets. Évidemment, je vois ce bâtiment à travers les regards de tout ce service exceptionnel. Cela aide forcément. Je me dis que s'il m'arrive quelque chose, ils et elles seront là. Même pour les peines de coeur. Ils veillent sur moi et cela me rend forte.
Je parlais encore de ce projet avec un jeune journaliste adorable que j'ai rencontré grâce… au Bon coin. Il m'a vendu des caisses de vin pour ma bibliothèque et je lui ai prêté des livres. Oui, je sais, toutes les occasions sont bonnes pour rencontrer des personnes intéressantes. Et je ne m'en prive JAMAIS ! Au pire on passe un moment bof et on ne se revoit pas, au mieux on gagne un ami. Il était épaté et trouvait génial, comme toutes les personnes à qui je raconte cette histoire, qu'elle tombe pile à ce moment de ma vie et m'aide à renaître. Quand on est entouré d'empathie, de gentillesse, d'attentions et d'intelligence émotionnelle dont je manquais cruellement, la vie ne peut être que belle…
Révoltes donc. Révolte en écoutant ma radio, oui j'ai repris un peu le fil, droguée à Nicolas Demorand (j'aime bien être réveillée par des hommes brillants). J'apprends qu'à l'Assemblée Nationale, une minute de silence a été déclinée sous des prétextes fallacieux. Une minute pour plus de 600 personnes qui ont péri en Méditerranée. Ce refus a été applaudi par les députés RN. Ce n'est pas du silence finalement qu'il faut pour ça. C'est du bruit ! Un orage ! Une tempête ! Des hurlements ! L'extrême-droite encore, qui menace de rentrer au JDD. Révolte aussi. Mais comment on peut tolérer ça ? Le rouleau compresseur de "je fais ce que je veux, c'est mon territoire, mon jouet, je suis chez moi" me rend folle. Dingo même.
Et puis, révolte encore. Oui révolte. Pour la différence de traitement. Les 600 réfugiés qui rêvaient d'un monde meilleur, qui fuyaient les guerres, la souffrance, la famine, les viols, les exterminations… ont hurlé à l'aide quand le pilote a abandonné le navire… le bateau a coulé et personne n'a voulu entendre leurs cris. Et, par opposition, ce sous-marin de milliardaires qui coule près du Titanic… là, tout le monde est aux aguets, tout le monde attend le dénouement. Ok, cette histoire du Titanic fascine (d'ailleurs c'est vraiment flippant), mais sincèrement, on n'en fait pas un peu trop ? Maintenant, on a droit aux portraits de chacun, leurs parcours, leurs vies… C'est triste pour eux, mais ils étaient volontaires. Les hommes, les femmes, les enfants de Méditerranée ont sombré dans le silence assourdissant du monde. On a surtout la sensation que toutes les morts ne se valent pas. Et c'est vraiment atroce.
C'est peut-être ce que j'aime ici. À l'hôpital public, les humains sont logés à la même enseigne. La maladie ramène tout le monde au même niveau. Celui d'une personne en besoin de l'autre pour survivre. Et je mesure tous les jours ma chance d'être née en France et d'avoir pu guérir dans de bonnes conditions, surtout extrêmement bien entourée d'un personnel compétent et dévoué, malgré toutes les restrictions et les décisions arbitraires. D'ailleurs, je n'ai plus de psychiatre et l'unité dans laquelle j'ai été prise en charge ferme à la fin du mois. C'est terrible. Le bateau est en train de couler. J'espère de tout mon coeur qu'il ne va pas se prendre un iceberg.
Alors aujourd'hui encore, je rends hommage à toutes ces personnes qui travaillent à l'hôpital public. Un hôpital encore attaqué. Une cyber attaque cette-fois. Comme s'il n'y en avait pas assez. Ce matin, à l'accueil, les bornes ne fonctionnaient plus. Il fallait passer par les admissions débordées. Les mails n'arrivent pas. Et tout le monde continuait de faire de son mieux, de retravailler à l'ancienne. Tout le monde continuait de sourire. Je n'ai pas pu m'empêcher de leur exprimer tout mon soutien. Quels hommes et quelles femmes ! Ils sont admirables. Absolument admirables.
Et si, avec tout ça, on se concentrait sur les choses vraiment importantes ? Celles qui concernent ce qui nous anime tous, nos amours, nos coups de coeur, nos joies, nos peines, nos enfants, nos amis, nos familles… Mais comme dit ma copine Valérie, "On vit dans une société de comm et on ne braque pas les projecteurs au bon endroit". Alors, braquons les tous au bon endroit ! Tournons nos regards vers l'essentiel : l'humanité qui nous relie tous.
Oui, je sais, certains diront que je frise la bisounours attitude. Mais je m'en balance. Moi je souris aux gens, je dis merci, j'engage la conversation, je rigole, j'aide chaque fois que je peux, je parle avec tout le monde, je ne rate jamais une occasion de rencontrer des nouvelles personnes, je bichonne ceux que j'aime… et je vous jure que cela rend la vie meilleure. Alors je ne pilote pas un énorme bateau pour aller sauver toutes les personnes en Méditerranée, je ne monte pas à la Tribune pour contrecarrer un parti qui me fait gerber… mais j'essaye, tous les jours, c'est ce que je peux faire moi, de rendre le quotidien plus joli en démultipliant mon âme d'artiste, en offrant des mots choisis pour que les gens rêvent et s'évadent, en écrivant, en aidant des jeunes à s'épanouir, en essayant d'ouvrir les yeux sur de belles choses, et en partageant un peu de ma lumière intérieure. Ah, oui, au fait, je l'ai retrouvée. Ça y est. Et je vous jure qu'elle est puissante. Sacrément puissante. Cette-fois, je ne la laisserai pas vaciller.
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